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Le père de Pallieter
Uit Voilà Gazette hebdomadaire de la bonne humeur vendredi 6 juin 1941.
Qu'apres celle-ci on ne vienne plus dire qu'il ny a pas de gens prédestinés !
Quand Felix Timmermans vint au monde, la joie régnait dans la petite maison rustique de la Grand-Place de Lierre, où la tour de Saint-Gommaire étirait son ombre, car le 13e moutard de Timmermans venait de voir le jour. Nous ignorons si l'on écrivait ce jour-là le 13, mais il nous est revenu que le papa Timmermans, qui était un joyeux compère aimant la blonde écumante et la bonne chère sen était vanté dans les cafés de la place, que son dernier-né avait été conçu un 13, et notamment le jour où il venait de réussir son 13e coup de maître en se débarrassant d'un stock immense de dentelle démodée, mais dont les fermières raffolaient encore de ce temps-là.
On écrivait 1886. La fusillade de Queretaro étant encore trop fraîche et trop sanglante dans toutes les mémoires et, d'autre part, l'admiration pour le souverain de l'Etat Indépendant du Congo allant croissant, le papa Timmermans, en tenant son rejeton sur les fonts baptismaux, lui donna le nom de Félix, auquel il ajouta celui du malheureux Maximilien et celui du plus heureux Léopold.
Vraisemblablement le dodu Félix-Maximilien-Léopold était-il un enfant comme taus les autres, car après son école primaire le papa Timmermans décida que son 13e l'assisterait dans son commerce de dentelles ambulant.
« De Fee », comme on l'appelait déjà de ce tempslà dans sa ville natale quoiqu'il natvait rien d'un Adonis et encore moins d'une Fee ne raffolait pas de son métier. Quoi de plus médiocre, de plus terre-à-terre aussi que de vanter les qualités de la « Valencienne » ou de l'«. Entre-deux » qu'on débitait a un franc les trois aunes aux « patches » (fermières) de la région, alors que la compagnie des jeunes avant-gardistes de la peinture et de la littérature, dont la patrie de Saint-Gommaire abondait, était si agréable et autrement intéressante. Au lieu de traîner sa hotte le long des chaussées et des chemins de terre, il la déchargeait dans l'atelier d'un peintre en herbe, où il passait d'agréables et de mémorables journées dans la fumée des pipes. Et il neut cure des remontrances de son père, qui commenca à craindre que si un 13 peut être un porte-bonheur, il peut aussi être un signe de malheur.
Mais le « Fee » avait autre chose que du bagoût mercantile à son actif.
Les innombrables coins pittoresques de sa bonne ville, le béguinage aux pignons moyennageux, l'immense romantisme planant sur la Nèthe et les prés environnants, le contact d'un tas de gens que les Lierrois appelaient des dévoyés, avaient fait éclore en lui le sentimentalisme et le goût de la poésie. C'est ainsi que, la lyre vibrant en lui, il monta au Parnasse et écrivit des poésies dans le genre de celles d'Omer Charles de Laey, une sorte de poésie pittoresque, dans laquelle lélément pictural et folklorique était prédominant.
C'est alors que Felix Timmermans se découvrit également le don de la peinture. Il se mit à fréquenter les cours de l'académie de la ville. Mais quelle fut sa déception ! Il y apprit à tracer des cercles, des losanges et toutes les autres bêtises géométriques, il y reçut les premières notions pour ombrager une projection, mais il ne fut pas question d'apprendre à dessiner les paysans, les paysannes, les hommes de labeur tel qu'il les avait vus à la besogne, les arbres figés au bord de la rivière, dans laquelle le soleil laissait fondre ses ors. Dégoûté des méthodes pédagogiques, il préféra plaquer là I'académie et se former lui-même.
Entre-temps, il avait rassemblé ses poésies qu'il fit éditer en 1907, sous le pseudonyme de Pol van Meer. La vente laissa cependant à désirer et durant de longues années des exemplaires maculés du fameux volume trainèèrent dans son grenier. Ce n'est qu'après la guerre de 14, le Fee s'étant occupé de politique qui n'était pas tout à fait celle de ces messieurs du Havre, qu'il vida son grenier et fit un feu de joie de toutes ses paperasses parmi lesquelles aussi ses poésies à la De Laey.
Vers la même époque. le jeune Timmermans collaborait à un journal, qui, en guise d'honoraires, procura des livres à ses collaborateurs. Afin de se constituer une bibliothèque, le Fee publia dans cette « feuille de chou » une tragédie en sept actes, intitulée « Holdein », à côté de laquelle celles de Shakespeare n'étaient que de la petite bière. Felix on était tellement satisfait qu'il envoya sa première prose à Hugo Verriest, afin que l'auteur des « Vlaamsche Koppen » lui donnât son appréciation. La réponse ne se fit pas attendre.- « Trop long ! » lui écrivait l'abbé Verriest. Et : « A l'occasion, poussez une pointe jusque chez moi, on parlera de votre livre ».
Le jeune Timmermans ne se fit pas prier. Un beau matin, il mit son costume le plus seyant, il soigna particulièrement sa barbe car pour se donner I'air artiste il s'était gardé de se raser le menton, à l'instar de ses copains de Lierre et après s'être coiffé d'un haut-de-forme, il s'en alla à Alveringhem. C'etait une merveilleuse journée d'été et Félix se promenait à travers la belle campagne flamande, en jouissant pleinement de la nature et en rêvant tout son saoul. Il s'en était si bien donné qu'il s'était perdu dans les champs. Malgré sa timidité il se décida à accoster une belle paysanne aux cheveux de lin, qui liait la moisson dorée en s'égosillant comme un rossignol. Ayant demandé le chemin vers le presbytère, la beauté flamande s'exclama toute étonnée : « Monsieur le curé est donc malade ? » Timmermans comprit qu'on le prenait pour le médecin et depuis lors il ne porte plus de barbe.
L'abbé Verriest avait un gros faisan dans le pot, spécialité de sa bonne Pauline.
Ce mets succulent, le bourgogne aidant, mit le brave curé d'Alveringhem en verve. Il paria à l'auteur en herbe, de Gezelle, de Rodenbach qu'il avait connu intimement. Félix apprit ainsi à connaître toutes sortes d'auteurs et à les juger d'une facon toute spéciale. L'abbé lui parlait de tout sauf de sa jameuse tragédie; et ce n'est qu'au moment du départ que le bon « pastor van ten lande » (pasteur campagnard) lui dit en faisant allusion à sa scribomanie : « Ecoutez le rythme du cur humain ! » C'est depuis lors que Timmermans a compris que les humains parlent de la même façon des anges que de leurs épinards. Il comprit dès lors aussi que l'humour n'est autre chose que de la tristesse que l'on veut camoufler avec un semblant de gaite.
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Pour original qu'il était, Timmermans s'était adonné à toutes sortes d'ismes, dont l'occultisme n'était pas le moindre, puis à la théosophie et à l'asttrologie. Il se laissait influencer par eux jusqu'a un tel point qu'il fut même incapable d'agir encore librement. Il se sentait lié à des chiffres, à des dates, aux signes de la cabale. Cette profonde superstition influença profondément ses premières uvres et notamment « Begijnhofsprookjes », écrit en collaboration avec Anton Thiry, et dont un profond amour pour le cadre archaïque et des aspirations semi-mystiques forment la base.
Dans sa vingtième année , Félix Timmermans tomba gravement malade et dut garder le lit pendant longtemps. Nous ne savons au juste de quoi il souffrait, mais suivant le savant français, Coué, l'esprit influence la matière et il est donc vraisemblable que son esprit, gangrené par ces « ismes » néfastes, ait eu une profonde influence sur l'état psychique de Timmermans. A un certain moment, son pessimisme touchait au désespoir et il crut sa dernière heure venue. Il réagit cependant, lutta des semaines durant avec l'homme à la faux qui s'était introduit dans sa chambre, car... notre Timmermans eut peur de mourir. Ce sont ces heures atroces pendant lesquelles il vécut les affres de la mort qui revivent dans «Schemeringen van den dood » (Les Reflets de la Mort), imprégné de mystère et truffé d'effets mélodramatiques macabres.
Il est clair que le satanisme et la magie noire ont détraqué ce Flamand fort et sain. Mais il n'empêche que le style suggestif et savoureux fait de cet ouvrage un livre très attrayant et qu'il fut surtout le prélude d'une uvre grandiose, unique en son genre, qui susciterait l'admiration du monde entier.
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Vers la fin de sa maladie, Timmermans devint tout à coup un autre homme. Il se sentait heureux, imondé de bonheur. D'où cela lui venait-il ? Il n'aurait pu le dire. Il se promenait beaucoup : le béguinage, la Nèthe, les prairies. Il vit le paysage printanier avec de tout autres yeux qu'auparavant. Tout était beau et bon. Les prés verts s'étiraient voluptueux comme une vierge fatiguée. Ses yeux s'ouvraient complètement. De quelles foutaises s'était-il occupé, alors que là, devant lui, gisait la joie de vivre, la santé, en un mot : la Nature !
Il décida de la décrire. Mais un paysage ne peut rester inanimé, sinon il devient vite une «nature morte». Il y mit un homme, non un surhomme, mais un homme en chair et en os, un fervent du beau, un jouisseur du bon, un admirateur de tout ce qui croît et vit et se multiplie, un homme qui prend tout du bon côté, parce que la vie n'a que le côté qu'on lui donne.
Cet humain, cet épicurien, ce philosophe, c'était « Pallieter ».
Nous usions encore le fond de nos culottes sur les bancs du collège, quand la première édition de « Pallieter » sortit de presse. Alléches par des extraits qui avaient paru dans des revues, nous nous précipitâmes sur ce fameux passage d'un réalisme profond, où Pallieter découvre dans la bruyère deux petites vierges nues qu'il met en croupe sur son cheval après s'être « rincé l'il ». Mais à côté de ce réalisme naturaliste, nous découvrimes aussi la philosophie épicurienne de l'auteur et surtout son immense, son merveilleux romantisme, qui est au livre ce qu'une violette est à un bouquet de fleurs champêtres. Car dans ce libre, « De Fee » raconte la vie, sans ombrages, du meunier-esthète qui, dans la vallée arcadique de la Nèthe, jouit largement et à pleines bouffées, de la nature et de la vie. Il est croyant et emprunte au Poverello le lansage qu'il parle aux plantes. Mais il est aussi un dyonisos qui aime à rire à gorge déployée, à s'empiffrer à ceinture dégrafée, à se vautrer dans tous les plaisirs qu'offrent la terre, l'eau, le soleil; qui jouit étourdiment et physiquement des belles filles et surtout de sa Marieke, de « cette chair saine et forte qui est comme une tranche saignante découpée dans le sol d'avril ». Et dans une même atmosphère hédonistique se meuvent nombre d'autres héros qui ne diffèrent en rien de Pallieter lui-même.
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« Pallieter » est devenu un symbole légendaire. De la littérature. le nom a passé dans le langage courant. On dit « Pallieterien » pour désigner un jouisseur, ou « palliterer » pour dire que l'on va profiter de tout ce que la nature offre de beau et de bon. Il y a du tabac «Pallieter», de la bière « Pallieter » et même du cirage du même nom. Et néanmoins, nul n'étant prophète en son pays, tout le peuple flamand n'avait pas encore lu cette uvre grandiose d'un format vraiment international. Afin d'y remédier, l'Agence Dechenne vient de mettre sur le marché 50.000 exemplaires de « Pallieter » à un prix vraiment populaire.
On s'est souvent demandé si Pallieter n'était pas Félix Timmermans lui-même. Laissez-nous vous détromper. Timmermans ayant commencé la rédaction de son ouvrage deux ans avant son mariage avec Marieke Janssens, il serait erroné aussi de prétendre que c'est sa femme qui a inspiré Ie livre.
Malgré ses nombreuses uvres : «Kindeke Jezus in Vlaanderen», «Anne Marie», «Juffrouw Symforosa», «Pieter Breugel», «Boerenpsalm», «Ik zag Cecilia komen» - et nous en oublions, - Félix Timmermans nous a avoué qu'il n'a pas la plume légère.
Il travaille chaque jour mais trop peu, car il aime trop sa promenade, sa pipe, ses amis et... son verre de bière. Passez par Lierre, à n'importe quelle heure de la journée, vous y verrez un bonhomme rond comme un tonneau (peut-être le volume a diminué à cause du rationnement), l'éternelle pipe en bouche, les deux grosses mains croisées sur le dos, se baladant à pas lents, les petits yeux vifs toujours en éveil. Ce bonhomme n'est autre que Félix Timmermans. Honteux de sa paresse, « De Fee » s'est une fois écrit une lettre qu'il s'est fait parvenir par la poste et qui était conçue comme suit . « Mon cher Fee, Tu ne f... plus rien. A partir de demain tu vas te mettre à la besogne ». Il s'est suggestionné, magnétisé de la sorte et depuis lors il travaille plus régulièrement.
Quand il n'attrape pas directement la vision exacte, ou l'harmonie, il s'en va. Il va voir alors comment ça se passe dans la vie, il parle aux gens, à ceux qui triment, se fait raconter des choses du passé, car les anecdotes sont une source inépuisable. C'est d'ailleurs dans une anecdote qu'il a puisé le fameux duel entre Fransoo et le baron où le premier choisit le canon et... Mais non, il vaut mieux lire ça vous-même.
Et pour conclure nous répondrons à la question que le lecteur se sera sans doute déjà posée : Timmermans n'est-il pas devenu Pallieterien lui-même après avoir écrit son livre ? En aucune façon. Pallieter n'a pas eu plus d'influence sur Timmermans qu'« Utopia » n'en a eu sur Thomas-Mann.
Puisse-t-il en être de même du lecteur qui, après ceci, voudra se procurer ce livre qui a fait. rougir tant de jeunes filles... hypocrites.
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